11 mai 2005

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L’éducation dans le Traité Constitutionnel : encore bien des raisons de voter non le 29 mai !

La campagne référendaire commence à occuper davantage de place dans notre pays. Les arguments d’autorité s’opposent aux arguments d’autorité. Mais, si tant est que l’on puisse l’isoler de tout le reste, et particulièrement des services publics, que dit le Traité Constitutionnel de l’Education

L’éducation dans le Traité Constitutionnel

Le traité constitutionnel ne revient pas sur les principes des actuels traités : l’éducation ne fait pas partie des domaines de compétences partagées, mais de ceux où l’UE « dispose d’une compétence pour mener des actions d’appui, de coordination ou de complément », avec « la jeunesse, le sport et la formation professionnelle » (art. I-17 e).

Le droit à l’éducation figure par ailleurs dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union (adoptée lors du sommet de Nice en 2000, elle constitue la partie II du TCE) :
article II-74.
« 1. Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue .
2. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire
3. La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. »

On peut rappeler en regard ce que dit de ce même droit le Préambule de la Constitution de 1946 :

« 13. La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. »

L’énoncé du TCE cantonne ainsi le service public gratuit au niveau de la scolarité obligatoire, pour laisser toutes les formations professionnalisantes au secteur marchand. Il est à l’opposé de la recherche de l’unité du service public d’éducation.

Trois derniers articles concernent l’éducation :

Article III-117.
« Dans la définition et la mise en oeuvre des politiques et actions visées à la présente partie, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection humaine ».

article III-282.
« 1. L’Union contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre Etats membres et si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action. Elle respecte pleinement la responsabilité des Etats membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique. [...]
3. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article : a) la loi ou loi-cadre européenne établit des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres. [...]b) Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte des recommandations ».

article III.283
« 1. L’Union met en oeuvre une politique de formation professionnelle, qui appuie et complète les actions des Etats membres, tout en respectant pleinement la responsabilité des Etats membres pour le contenu et l’organisation de la formation professionnelle. L’action vise :
a) à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles, notamment par la formation et la reconversion professionnelle
b) à améliorer la formation professionnelle initiale et la formation continue afin de faciliter l’insertion et les réinsertion professionnelle sur le marché du travail
c) à faciliter l’accès à la formation professionnelle... » (le paragraphe 3 est semblable à celui de l’article 282).

La limitation des compétences de l’Union Européenne sur l’éducation, domaine réservé des Etats, est donc répétée. La formulation des articles (« en appuyant et en complétant », loi-cadre, « actions d’encouragement ») renvoit pourtant à la « Méthode Ouverte de Coordination » (MOC), utilisée, pour ce qui touche à l’éducation et à la formation, dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne » ; le Traité constitutionnel lui donne un fondement juridique.

La « Stratégie de Lisbonne »

Au Conseil Européen de Lisbonne, en mars 2000, l’UE s’est en effet fixé pour objectif de devenir, dans les dix ans à venir, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Dans ce cadre, les politiques de l’éducation font l’objet d’un programme détaillé de travail jusqu’en 2010 : « les objectifs concrets futurs des systèmes éducatifs ».

Suivant la « Méthode Ouverte de Coordination », les Etats et la Commission Européenne fixent des « lignes directrices », établissent des « indicateurs de référence », évaluent les « bonnes pratiques » qui permettent d’atteindre les objectifs fixés et effectuent des recommandations aux Etats sur la base de rapports d’évaluation. « La comparaison transnationale des systèmes est un moyen très efficace de susciter le changement », écrivait l’an dernier la Commission (COM (2004) 156 final).

Dans un rapport d’étape de 2003, la Commission proposait que « chaque pays fasse connaître ses priorités politiques d’investissement et de réforme dans l’éducation et la formation à court et à moyen terme, ainsi que la contribution à la réalisation des objectifs européens pour 2010 qu’il en attend » . « Il est essentiel d’utiliser à l’avenir tout le potentiel de la MOC pour maximiser l’efficacité de l’action », ; « d’une façon générale, des actions parallèles non intégrées pourront se justifier de moins en moins à l’avenir, que ce soit dans l’enseignement supérieur ou dans la formation professionnelle, sauf si elles se montrent clairement plus ambitieuses et plus efficaces » (COM (2003) 685 final).
Les déclarations de principe sur la « responsabilité des Etats » des articles du Traité constitutionnel cités précédemment sont donc à prendre avec précaution ! La réalité, c’est que sans contrôle parlementaire, sans que les acteurs sociaux, habituellement consultés au niveau national, aient la possibilité d’intervenir sur les textes en préparation, en somme sans aucun débat public, des orientations politiques décisives sont définies. Les gouvernements s’en emparent, sans hésiter à se défausser sur l’UE, et imposent ces nouveaux dogmes libéraux à tous les systèmes éducatifs européens. C’est en effet le libéralisme qui caractérise, en matière éducative, les choix européens. Les progrès des systèmes éducatifs sont d’abord recherchés dans le but d’améliorer la compétitivité de l’économie européenne, même si un rapport du Conseil « Education » présenté au Conseil Européen de Stockholm, en 2001, « relevait parallèlement » d’autres objectifs à l’éducation : « promouvoir les valeurs humanistes communes à nos sociétés », « l’épanouissement de la personne », « le développement de la société, qui suppose notamment qu’on stimule la démocratie »...

Si la Commission dénonce « un investissement total [des Etats membres] comparativement trop faible dans les ressources humaines », c’est bien que l’éducation est d’abord considérée comme un investissement porteur de dividendes sonnants et trébuchants. Au delà de cet a priori, les voies proposées aux systèmes éducatifs sont elles aussi contestables. L’insuffisance de l’investissement privé est pointée, en particulier dans l’enseignement supérieur, la formation des adultes et la formation professionnelle continue. « Dans le cadre des contraintes budgétaires actuelles », les augmentations des dépenses publiques d’éducation ne peuvent être que « ciblées », et l’on comprendra sans trop de mal qu’elles seront circonscrites à l’enseignement obligatoire. Au delà, le marché éducatif doit largement s’ouvrir aux entreprises privées (et l’on retrouve la définition très restrictive du droit à l’éducation de la Charte des Droits Fondamentaux). « Inscrire l’école dans la construction européenne », c’était l’une des quatre perspectives dans lesquelles la commission Thélot avait mené ses réflexions. Le « socle commun des indispensables » proposé par le rapport Thélot ressemble donc furieusement au « socle minimum de compétences » proposé par les document de la Commission Européenne, qui, à côté des « compétences de base traditionnelles », propose « l’esprit d’entreprise », et « les compétences personnelles et civiques ». La nouvelle loi d’orientation s’inspire des mêmes idées, et fait explicitement référence à la stratégie de Lisbonne : « elle veut [...] inscrire l’effort de l’éducation nationale dans le cadre des engagements européens de la France », précise le rapport qui y est annexé.

Nul ne peut donc être dupe : l’éducation ne restera et n’est déjà plus de la seule compétence des Etats ; la construction d’un « espace européen de la formation » concerne à terme tout le système éducatif, et l’harmonisation des diplômes dans le supérieur n’en est qu’une étape.

Le Traité constitutionnel place les questions éducatives dans le domaine de la « coordination », dont l’efficacité « réformatrice » est déjà prouvée ; le droit à l’éducation qu’il définit est en recul sur celui que reconnaît la Constitution française ; l’esprit de Lisbonne souffle bien dans le Traité constitutionnel. Ainsi, considéré sous le seul angle de l’éducation, le Traité constitutionnel constitue à nos yeux un danger pour l’école, et cette seule analyse justifie sa condamnation et son rejet. Il n’est pas question de dédouaner nos gouvernements, et c’est parce qu’il ne néglige pas les enjeux de la construction de l’Europe que le SNES Créteil appelle à voter NON le 29 mai.